Le temps de vivre

Suzanne Kennelly

Retrouver sa voix : renouer avec sa passion, ses talents

Suzanne Kennelly est bien connue du public francophone de l’Ouest canadien. Née au Québec, Suzanne a suivi son cœur pour s’établir en Colombie-Britannique avant d’adopter le Manitoba, il y a plus de 30 ans déjà, pour entreprendre une carrière florissante comme animatrice à la radio et à la télé de Radio-Canada. Afin de mener cette carrière qui lui a apporté beaucoup de bonheur, Suzanne a dû mettre de côté la passion de sa vie, la chanson. Comme nous le découvrirons à la Balado d’aujourd’hui, pour notre invitée, la retraite représente un retour à ses premiers amours.

Chapitre Un

Un frisson dans le dos et une carrière en radio

Suzanne Kennelly (SK) : Pour moi, c’est un passage. La retraite, c’est d’avoir enfin le temps de pouvoir plonger dans nos passions. En tout cas, pour moi personnellement, ç’a été ça. Ç’a été le passage des obligations qui sont naturelles dans la vie : On a une vie professionnelle ou une vie familiale si on est une maman à la maison, puis à un moment donné, bien, on passe à autre chose. On commence à penser à soi un petit peu plus, et puis on commence à s’investir dans ce qui nous intéresse au fond de notre cœur, puis c’est un peu ça qui s’est passée avec moi.

Monique LaCoste (ML) : C’est presque des retrouvailles finalement.

SK : J’aime beaucoup cette image-là. C’est vrai. C’est vrai. C’est une retrouvaille avec qui on est vraiment. Les retrouvailles d’intérêts, ça fait tellement du bien d’être capable de faire ça à un moment donné dans sa vie.

ML : On va revenir justement à ce fin fond intérieur, là où tu te diriges dans cette nouvelle étape de ta vie Suzanne. Mais d’abord, je veux qu’on remonte dans le temps. Je voudrais que tu nous racontes soit un moment ou une personne qui t’a permis de prendre conscience il y a très longtemps de cette étape qu’on appelle la retraite.

SK : Je me souviens de ma mère quand mon père est décédé, ma mère était peut-être au milieu de la cinquantaine, et puis je l’ai vue à ce moment-là retourner sur les bancs d’école. Elle prenait toutes sortes de formations. Elle faisait toutes sortes de choses pour intégrer le marché du travail. Maman avait été à la maison comme les femmes de son époque. Elle nous avait  élevés. Elle avait bien pris soin de nous, mais là, à un moment donné, on était tous partis de la maison et puis elle a décidé de retourner au travail. Elle travaillait durement parce que elle travaillait comme femme de chambre dans un hôtel, mais je me rappelle à quel point ça la valorisait tellement de retomber là-dedans. Puis ça correspondait aussi un peu au moment, dans une certaine façon, de la retraite. Donc je l’ai vue plonger dans quelque chose qui la passionnait, puis j’ai essayé de faire pareil.

ML : Revenons justement sur cette belle carrière à Radio Canada principalement comme animatrice, radio, télévision.

SK : Entre ’83 et ’86, je faisais de la musique à temps plein en Colombie-Britannique et puis j’ai eu des contacts avec Radio-Canada dans le cadre de mes événements musicaux, et ça fait en sorte qu’en 1986, j’avais besoin d’avoir un emploi et j’ai commencé à faire de la relève à Radio-Canada Vancouver. Mais à cette époque-là, on me disait : « Écoute, il y a rien ici. Il faut que tu regardes ailleurs dans le réseau. » Alors on est au printemps 1986, et puis je voulais vraiment travailler à Radio-Canada. Il est 11 heures du soir. On passe en voiture, mon mari et moi, à côté de l’édifice Radio-Canada Vancouver puis je hurle : « Arrête la voiture! » Et mon pauvre mari me regarde en pensant que j’étais complètement folle, et puis donc je vais à la station. Les gardiens de sécurité me laissent entrer. Il est très tard le soir, mais ils me connaissent. Alors j’entre et je vais au tableau d’affichage et il y a le poste pour Saint-Boniface. Je m’assois dans la voiture et je dis à mon mari : « Je vais poser ma candidature sur ce poste-là. »

ML : Et quoi, il y avait un instinct? Il y avait un flash? Qu’est-ce qui s’est passé ce soir-là?

SK : Un frisson dans le dos. C’est souvent comme ça que ça se manifeste. Puis j’ai eu ce frisson dans le dos qui me disait : « Oui. C’est ça. Vas-y! Maintenant. » Et les choses se sont déroulées comme ça. J’ai pas eu le poste tout de suite quand j’ai fait le comité de sélection, mais trois semaines après j’avais une offre, et puis je pense que c’était la mi-juin ’86 où je suis venue au Manitoba et puis j’ai commencé à travailler. Et vraiment quand j’étais jeune, j’avais cette espèce de vision là que je voulais faire de la télévision parce que c’était ça. C’était prestigieux la télévision, alors j’ai fait la télé… J’ai fait un peu la radio puis ensuite je suis passée à la télévision pendant quelques années. Et quand j’ai commencé à avoir des enfants, l’horaire de la télévision c’est vraiment difficile surtout quand on est une maman, donc je suis allée à la radio et là, et là vraiment je suis tombée en amour avec la radio. Il y avait cette capacité d’entrer dans l’oreille des gens, cette proximité, cette intimité avec les auditeurs. Je trouvais ça absolument passionnant. Puis j’ai eu des opportunités extraordinaires à la radio. J’ai rencontré des gens fantastiques, que ce soit le premier ministre ou que ce soit quelqu’un de la communauté.

ML : Dans cette belle grande carrière de bonheur, il y a-t-il un moment ou deux, un fait saillant que ce soit un invité, une émission, un moment… 

SK : J’ai fait une série qui s’appelait « Les contes du monde » où j’ai eu pendant deux étés le grand bonheur d’aller à Ottawa et de faire une soixantaine d’entrevues avec des ambassadeurs de toute la planète parce qu’ils sont rassemblés là. Donc le matin, j’étais dans un pays d’Afrique, parce que quand on est dans l’ambassade, on est dans le pays.

ML : Alors tu as fait le tour du monde.

SK : J’ai fait le tour du monde. Ça été ça probablement une des choses les plus difficiles et une des choses les plus agréables parce qu’on leur faisait parler. On les faisait parler de leur pays, de la vie des enfants dans leur pays. Tout à coup, je les voyais devenir des êtres humains puis de parler de ce qui les touchait le plus. Je me souviens de…  c’était quelqu’un d’un pays d’Afrique qui allait dans le désert puis il regardait la lune puis j’étais là avec lui. C’est extraordinaire! Alors ça devenait très, très, très personnel ce genre de conversation-là. Au début, c’était toujours formel, puis ensuite après un 20 minutes là, l’ambassadeur du Brésil tapait sur la table pour me montrer c’est quoi les rythmes, puis toutes sortes de choses comme ça qui sont passés. Je n’ai que des bons souvenirs de cette série-là qui a d’ailleurs gagné des prix internationaux parce que c’était…

ML : Tellement riche.

SK : C’était l’époque d’avant l’Internet où on avait pas accès à cette information-là donc c’était pour les enfants. C’était diffusé dans les écoles donc ils apprenaient à découvrir le monde de cette façon-là.

ML : Tu viens de dire l’époque d’avant Internet (rires). C’est difficile à imaginer, mais toi et moi, nous l’avons vécu. Les médias c’est ce qu’il y a de plus instantané. La radio a toujours eu en fait cette magie-là.

SK : Cette capacité oui.

ML : Cette capacité-là, mais en même temps, nous avons vécu une époque où c’était pré-Google, c’était pré-Internet et ça changé beaucoup le métier.

SK : Incroyablement! En fait, moi j’ai… comme n’importe quoi on s’adapte puis peut-être que… bien, parce qu’on parle de retraite, c’est peut-être ça qui m’a amené à un moment donné de vouloir parler de retraite, de penser à la retraite. Parce que j’ai passé 27 ans à m’adapter, à m’adapter parce que c’est un milieu dans les communications où ça change tout le temps. L’équipement avec lequel on travaille change, les façons de faire changent, donc on s’adapte, on s’adapte. Et puis je me suis aperçue qu’après 27 ans, j’étais fatiguée de m’adapter constamment, alors je pense que ça ç’a été peut-être un des éléments précurseurs à l’idée de commencer à songer à la retraite.

Chapitre Deux

Le chemin sinueux vers la retraite

Suzanne Kennelly profite de sa retraite pour mener une deuxième carrière, celle de chanteuse de jazz. Toutefois, son projet de retraite ne s’est pas déclaré du jour au lendemain. Suzanne raconte.

SK : Je dirais que 10 ans avant la fin, là, ça m’a peut-être frappé un petit peu plus. Je me suis dit : « Ah bon. Dix ans. » Et là vraiment, ç’a commencé à débouler rapidement. J’ai eu des problèmes de dos là, des problèmes de santé qui ont fait en sorte que ça aussi ça m’a beaucoup bouleversé personnellement parce que je me suis dit : « Oh, je savais pas comment ça allait… quelle sorte d’impacte ça allait avoir sur le reste de ma vie. » Et je me suis sentie extrêmement vulnérable et il fallait que je gère tout ça et ça s’est prolongé sur plusieurs années. C’était vraiment drôle parce que j’étais aussi en changement au travail à cette époque-là et le corps est beaucoup plus intelligent que le cerveau souvent. Le corps m’a forcé de m’arrêter puis de faire cette réflexion-là. Je commençais à me dire : « Qu’est-ce que je veux? Si mon corps se remet, qu’est-ce que je veux faire avec le reste de ma vie? » Et puis là j’ai commencé, j’ai commencé vraiment à y penser très, très sérieusement puis à me dire… Puis vraiment, honnêtement, je me suis posé la question : « Est-ce que je vais être capable de continuer à faire mon métier parce qu’on est assis tout le temps? On est devant un ordinateur tout le temps. Physiquement, c’était très, très difficile pour moi, puis j’ai eu beaucoup… j’ai eu tout le soutien dont j’avais besoin dans mon environnement professionnel, mais je me disais : « Est-ce que je veux continuer à devoir gérer ça? Je voudrais le gérer peut-être dans un autre contexte. »

ML : Bien, parlons de ce contexte. Il y avait une autre passion qui t’a beaucoup animé et qui a aussi été ton métier avant les médias. C’est celle de chanteuse.

SK : J’étais chanteuse en Colombie-Britannique. En fait, j’ai chanté toute ma vie. Moi j’ai été élevé comme ça, mais dans des chorales au Québec. J’ai probablement fait 14 ans de chant choral au Québec, mais j’avais jamais chanté comme soliste parce que j’étais beaucoup trop timide. Et puis à un moment donné, lorsque je vivais en Colombie-Britannique… parce que mon mari est originaire de la Colombie-Britannique, alors quand on s’est marié, on a migré vers l’Ouest du pays. Alors j’ai vécu six ans en Colombie-Britannique et trois de ces années-là ont été consacrées à la chanson. On voulait vraiment… Je faisais de la tournée. Je faisais du bar, des émissions avec Radio-Canada et c’est ça qui m’a mis en contact avec Radio-Canada. À travers la musique, j’ai eu la chance d’aller faire le Festival de la chanson de Granby à deux reprises parce que j’avais gagné un concours de musique qui était un peu l’équivalent de ce que sont les galas régionaux…

ML : Provinciaux de la chanson oui. 

SK : Provinciaux de la chanson. Exactement. Alors je suis au Québec, à Grandby, sur la scène, on est en répète l’après-midi et puis le réalisateur de Radio-Canada… Bien, à cette époque-là, c’était une diffusion en direct de Radio-Canada. Je suis au micro puis on est en train de poser des questions, alors moi je parle puis tout ça puis le réalisateur vient devant la scène, puis je me souviens encore, il lève la tête et dit : « Madame, avez-vous déjà songé à faire la radio? » Et j’ai éclaté de rire. Il me demande parce que j’étais tellement surprise qu’il me dise quelque chose comme ça. J’ai dit : « Non, non, non, non. Ça fait pas partie de mes ambitions. » Il dit : « Vous devriez y penser. » Et il retourne de bord et il s’en va. Et il avait planté la petite graine.

ML : Bien, c’est intéressant!

SK : Mais j’avais aucune idée à ce moment-là.

ML : Mais évidemment, faire de la tournée et faire une vie de chanteuse tout en menant une carrière dans les médias, c’est impossible.

SK : C’était très difficile. C’était très difficile puis c’est un peu ça qui m’a fait pencher du côté de la radio parce que j’aimais beaucoup ma carrière de chanteuse, mais c’était peut-être pas la meilleure chose pour ma vie personnelle. C’était très difficile aussi pour mon mari à cette époque-là de voir que j’étais toujours parti. Puis il dit : « Écoute, c’est pas vraiment comme ça que j’ai imaginé…

ML : Ma vie de couple.

SK : Ma vie de couple. » Alors écoute, il y avait aucun doute dans mon esprit que pour moi, ma priorité c’était ma relation avec mon mari. Puis c’était pas qu’il me disait : « Arrête de faire de la chanson. » Mais il fallait voir comment on allait gérer ça. J’ai toujours cru aussi que quand on fait des bons choix pour les bonnes raisons, les choses s’arrangent. Alors j’ai fait un choix de peut-être mettre la musique de côté, mais là Radio-Canada est arrivée en même temps et puis tout ça… puis finalement, aucun regret.

ML : Dirais-tu que le fait d’être au micro, à la radio ou à la télévision venait tout de même rencontrer le même besoin artistique en toi?

SK : Peut-être pas le même besoin, mais ça venait panser un peu les plaies, je pense que c’est la meilleure façon de le décrire. Parce que même si on est en train de lire un bulletin de nouvelles, on est en, et ça je veux mettre ça entre gros guillemets là, « On est en performance ». On est au micro, les gens nous écoutent donc il y a…

ML : C’est une prestation.

SK : C’est ça. Il y a un côté performance à tout ça quand on est en entrevue, alors ça ç’a aidé un petit peu. Le fait aussi que je voyais énormément de spectacles, j’ai fait du culturel pendant plusieurs années à la radio. J’ai porté tous les chapeaux. Un des chapeaux que j’adorais évidemment c’était toute l’activité culturelle, puis au Manitoba il y en a. C’est tellement riche! Alors j’allais au ballet puis j’allais voir des spectacles de musique, tout ça. J’ai eu quelques opportunités de faire des choses en musique sauf que à un moment donné… J’aime ça avoir peur. Ça fait partie de ma personnalité. C’est peut-être pour ça que je fais ce que je fais présentement. J’aime ça me faire peur. J’aime ça me mettre en situation de danger, pas de conduire une voiture à 300 milles à l’heure, c’est pas ça. C’est d’être en danger par rapport à mes propres limites et mes propres…

ML : zones de confort.

SK : Mes zones de confort. Oui. Donc je me suis lancé des défis au cours de ces 27 années-là comme animatrice à Radio-Canada… à quelques reprises de faire des choses en musique sauf que j’essayais de faire ça à 100 pour cent et j’essayais… bien j’essayais pas, je travaillais à Radio-Canada à 100 pour cent.

ML : Tout en étant une maman.

SK : Je suis pas très bonne en mathématiques, mais ça marche pas, je peux vous le dire toute de suite. Ça marche pas. Non.

ML : Cent plus cent…

SK : Ça marche pas. Donc à un moment donné, surtout le dernier gros, gros projet où j’avais fait deux soirs de spectacles de chansons de Brel dans la salle où on est en train de faire l’entrevue, j’ai tellement de beaux souvenirs par rapport à ça, mais en tout cas, j’ai fait ça et après j’ai été tellement malade par la suite. Des bronchites puis tout ça parce que mon corps pouvait encore une fois pas soutenir ce rythme-là, et je travaillais le matin. J’étais en répétition tous les après-midis, puis j’essayais de dormir quelques heures la nuit puis je recommençais. J’ai fait ça pendant des mois pour être prête pour le spectacle. À un moment donné, il faut faire des choix donc je me suis dit… À ce moment-là c’est…, je me suis dit : « Ok. Pas maintenant, mais ça va venir. »

Chapitre Trois

Renouer avec sa passion

Pas étonnant que l’auteure-compositeure-interprète Suzanne Kennelly ait choisi la salle Pauline-Boutal du Centre culturel franco-manitobain à Saint-Boniface comme lieu de notre entretien. Elle nous explique pourquoi cette salle tient une place spéciale dans son cœur.

SK : Parce que c’est une salle qui a rassemblé la plupart de mes passions artistiques. Ma première pièce de théâtre… la première fois que j’ai joué au théâtre pour le Cercle Molière, c’était dans cette salle. Claude Léveillée, j’ai rencontré Monique Leyrac dans cette salle. J’ai rencontré les plus grands artistes dans cette salle. On venait faire des entrevues quand ils étaient de passage. J’ai fait des spectacles ici, alors c’est une salle qui est pleine de souvenirs pour moi puis des souvenirs positifs du premier au dernier.

ML : Alors, là si on suit un peu la chronologie, on a eu des petits pépins de santé. On a eu un éveil à la possibilité de revenir à cette passion que tu avais mis de côté pendant tant d’années. Comment tout ça s’est dessiné, là?

SK : Deux ou trois ans avant de prendre ma retraite, ça c’était en 2014. J’ai pris ma retraite en 2014. Alors deux, trois ans avant, c’était même plus une possibilité, Monique, à ce moment-là, c’était une évidence que j’allais faire de la musique. C’était une évidence.

ML : Puis un autre frisson dans le dos?

SK : Bien c’est un frisson qui avait duré 27 ans (rires). J’en avais assez du frisson. Non, ça c’était tellement clair dans ma tête. J’ai un côté qui est extrêmement naïf. Je suis naïve de nature, mais naïve dans le bon sens que je me dis : « Oui. C’est ça que je veux faire. » Les choses se passent et je fais. J’agis en conséquence. Je me suis préparée de la meilleure façon. Alors ce que j’ai fait, je me suis dit : « Ok. J’ai été au micro pendant 27 ans, mais est-ce que mon instrument est en forme? » Ça j’étais pas certaine. Alors, à travers Radio-Canada, je fais une entrevue avec un bonhomme qui s’appelle David Grenon qui est le premier chanteur des Forces armées canadiennes.

ML : Un talent inouï.

SK : Un talent inouï. Et il glisse dans l’entrevue qu’il donnait des cours de chants. La petite lumière s’allume dans ma tête. En dehors du travail, je lui envoie un petit courriel. Je dis : « Écoute… » Alors il me dit : « Écoute. Viens. On va faire une leçon. » Donc ce qu’il a fait c’est qu’il a reconstruit un instrument. Il m’a vraiment donné les instruments pour que je devienne beaucoup plus confiante et que je connaisse mieux mes capacités. Je lui en suis très reconnaissante parce que ça fait que maintenant, j’ai les bons instruments pour pouvoir faire ce que je fais. Deux mille quatorze, je prends ma retraite au mois d’avril, mais je me suis dit : « Bon. Premièrement, je me repose et ensuite je voyage. » Donc je suis allée cinq semaines en Europe. J’ai une sœur qui vit dans le sud de la France donc j’ai fait le tour. Je suis allée visiter des amis, tout ça. Je me suis bien amusée. Au printemps 2015, là à ce moment-là, je me dis : « Bon. » Maintenant j’avais vraiment songé à un concept et je voulais faire du jazz en français, et je vous le dis : « En tout cas dans l’Ouest canadien, il y en a pas beaucoup. » Les gens vont faire des chansons, des interprétations de chansons, mais de la chanson originale.

ML : Oui.

SK : Jazz en français ça se fait pas beaucoup. Là je me dis : « Avec qui je veux travailler? » Ce que j’ai fait c’est que j’ai invité Daniel Roy qui est un grand musicien, un chanteur, un auteur-compositeur-interprète, un batteur extraordinaire, un homme qui a tous les talents. Alors je l’ai invité pour un café puis je lui ai présenté mon idée. Comme on dirait chez nous, c’est un peu baveux parce que lui m’avait jamais entendu chanter. Moi je l’avais suivi tout le long de sa carrière.

ML : Oui.

SK : Je le connais depuis qu’il était adolescent. On a décidé de travailler ensemble, développer du répertoire et tout ça. Finalement, la première chose que j’ai faite, moi je fonctionne toujours à l’envers. La première chose que j’ai faite ç’a été de partir en tournée. J’avais rien fait, mais j’ai commencé par faire une tournée! Bien, c’était avec Chemin chez nous, alors j’avais une série de chansons que je voulais faire puis je voulais voir si j’étais capable. Alors j’ai trouvé une guitariste extraordinaire qui s’appelle Jocelyn Gould  donc on a travaillé ensemble, et puis à l’automne 2015, c’est là que j’ai fait mon premier Mârdis Jazz qui est une institution manitobaine. Le mardi soir, les meilleurs musiciens de jazz viennent au Centre culturel franco-manitobain et font des spectacles.

Finalement, on a fait notre Mârdis Jazz et depuis ce temps-là, bien les choses roulent quand même pas mal assez bien. Alors le premier disque vient de sortir, donc juin 2018, ç’a été le premier EP et puis on espère qu’il y en aura d’autres.

ML : Est-ce que c’était dans les plans de lancer non seulement un projet de spectacles, mais enregistrer des chansons originales, un site web? Est-ce que c’était le projet?

SK : Mais je pense que j’avais pas conscience du défi que ça allait représenter. J’ai eu beaucoup d’appui de la communauté, entre autres, de la chanteuse Jocelyne Baribeau qui me sert presque de gérante là. Elle est là. Elle m’accompagne et c’est toutes les demandes de subventions. Chaque fois qu’on veut faire un petit quelque chose évidemment tout coûte cher. Moi je travaille avec des musiciens professionnels. Il faut que je les paie. Puis…

ML : Vous êtes quand même à la retraite?

SK : Je suis à la retraite… on n’a pas des poches sans fond, il faut faire des photos. Il faut faire… Il y a tellement d’éléments. Il y a tellement de choses à faire faire. Si tu me laissais aller, je serais sur la scène tous les soirs là là. C’est ce que je voudrais idéalement, mais il faut suivre la progression normale des choses. Bien au moment où on se parle, ça fait trois ans. J’ai réussi à réaliser quand même pas mal de beaux projets, d’avoir… J’ai été, bon, la tête d’affiche du Coup de cœur francophone au Manitoba la saison dernière donc en 2017. Mais ç’a été extraordinaire! Chaque spectacle c’est une aventure. Ça peut être un spectacle piano-voix. Ça peut être un spectacle en trio. Ça peut être avec le plein orchestre et à chaque fois, j’apprends des choses alors…

ML : Ramène-nous sur la scène la première fois que tu es montée sur les planches à la retraite.

SK : Je sais pas si je dirais la première fois, mais en tout cas pour le premier Mârdis Jazz, pour moi c’est très clair, je me sentais un peu comme un imposteur. Je veux dire : « Oh la la! Qu’est-ce que je fais là? » Et puis en même temps, il y avait tellement de bonheur associé à ça. Il y avait tellement de validation. J’avais fait le travail. J’avais eu une vision et elles se réalisaient et puis je savais que c’était la première étape d’une longue série de moments comme ça, alors c’était vraiment… c’était précieux. Je l’ai vraiment apprécié. Ç’a été pas mal extraordinaire.

ML : Est-ce que ça a disparu un moment donné, le phénomène de l’imposteur?

SK : Oui. Oui. Ça m’a pris… il a fallu que je me fasse parler à quelques reprises par mes musiciens entre autres. J’ai eu… Il faut dire que je compose, mais je lis pas la musique donc l’imposteur il vient de là aussi, mais ce que ça m’empêche pas, puis je sais qu’il y a plein d’artistes qui ont le même parcours, le même vécu…

ML : Absolument. Oui.

SK : … Que moi. Donc on est en train de prendre un verre après un spectacle et puis j’ai le malheur de dire ça et je me suis fait apostropher. Je me suis fait dire : « Écoute. Tu es une musicienne tout à fait légitime au même titre que nous. Tu fais partie du groupe puis je veux plus jamais t’entendre dire ça. » Alors je travaille vraiment fort pour ne plus dire ça. Merci.

ML : Y crois-tu un petit peu plus aujourd’hui?

SK : Oui. Oui. Maintenant, oui.

ML : Quel est le summum pour toi dans ce projet de musique?

SK : De pouvoir chanter et de pouvoir être sur scène en performance plus régulièrement. Là je suis là. Je voudrais pouvoir avoir un peu plus d’opportunités, puis ça quand on veut des opportunités, il faut les créer soi-même. Alors c’est sur ça que je suis en train de travailler, d’essayer de voir… Aussi j’ai encore du travail à faire pour me faire connaitre comme chanteuse parce que ça fait tellement longtemps que dans ma communauté, les gens me connaissent dans un certain contexte, avec une certaine image. Alors là je leur dis : « Maintenant, bien, maintenant je suis autre chose et je fais autre chose. » Alors, ça prend un certain temps.

Chapitre Quatre

La retraite et l’art de composer avec les effets du troisième âge

À quoi ressemble le quotidien de notre jeune retraitée et chanteuse de jazz? Suzanne Kennelly raconte :

SK : J’ai toujours détesté la routine. Il y a pas de routine. Il y a pas de routine. Ça dépend ce qui se présente. Je suis constamment en formation, constamment essayer d’écrire des nouvelles chansons, préparer des choses, faire des contacts avec les gens, offrir mon spectacle et puis il y a la vie normale de l’épouse à la maison où on fait le ménage. On fait toutes ces choses-là.

ML : Suzanne Kennelly fait son ménage (rires)?

SK : Oui, oui, oui, oui, oui. Il y a personne qui le fait pour moi. 

ML : Non, C’est ça. Et le bénévolat aussi.

SK : Oui. Pendant la carrière Radio-Canada, évidemment on peut pas être sur des conseils d’administration, donc là il y a certains conseils d’administration, entre autres, la Fédération des aînés franco-manitobains, la FAFM où j’ai pris la vice-présidence et je trouve ça tellement intéressant de rencontrer des gens qui comme moi se lancent des défis, qui font des nouvelles choses. C’est un groupe de personnes extraordinaires, d’une richesse extraordinaire à tous les niveaux, alors je me sens vraiment bien entouré. Alors je fais plein de belles découvertes parmi ces gens-là.

ML : Évidemment on sent que l’ennui chez toi ça sera pas un défi auquel. 

SK : Ça sera pas un problème.

ML : Le vieillissement. Comment vois-tu ça que ce soit au plan physique ou psychologique, spirituel?

SK : À un moment donné justement, quand j’ai eu des problèmes de santé en 2006, des problèmes de dos assez sévères, je pense que dans le fond, je réfléchissais à ça tout dernièrement. Je pense que ça m’a aidé. Ça m’a aidé à me préparer à ce qui s’en venait plus tard parce que j’ai dû faire face à mes limites, à me dire : « Bon. Tu sais mon corps m’a abandonné pendant un bout de temps. Psychologiquement, je pense que le choc que j’ai eu là m’a aidé à vivre ce que je vis présentement. Parce que c’est vrai, c’est pas la chose la plus agréable de se regarder dans le miroir le matin puis de se dire : « Hum! Ok. Il me semble que c’était pas là ça avant. »

ML : Et ça change.

SK : Oui. Il y a des changements. Aussi d’accepter qu’on a pas la résilience ou la capacité de soutenir un effort physique et puis de dormir quatre heures puis de continuer à fonctionner. Le corps il veut plus faire ça, alors ça fait partie de la réalité des choses puis je te dirais que j’essaie de pas me battre contre ça. J’essaie d’aller avec le courant puis de me dire : « Bien. C’est ça, puis c’est pas juste moi. Tous les êtres humains sur la planète vivent la même chose que moi alors pourquoi est-ce que je commencerais… » J’ai un peu cette… J’avais cette vision-là par rapport au fait d’avoir des enfants. Tu sais les gens me posaient, je me souviens les gens me disaient quand j’étais enceinte : « Ah! Est-ce que ça te stresse? Ça t’inquiète? » « Bien non. Il y a des milliards de femmes qui ont passé par là. Je suis juste une d’entre elles puis je vais passer par là. » Je pense que je vois la vieillesse un peu de la même façon. Je me dis : « Bon bien, c’est ça. » J’essaie de la gérer le mieux possible tu sais, puis je pense c’est important quand on prend soin de soi. Quand on fait des choses qu’on aime, on se fait dire : « Ah! Bien tu sais, tu rajeunis. »

ML : Tu rayonnes! 

SK : Oui. Parce que c’est simplement parce que je fais des choses que j’aime.

ML : La mort. On y pense?

SK : La mort ça fait aussi partie de la vie. Là on est à l’étape, autant du côté de mon mari que de moi, on voit nos parents vieillir. Je veux dire, en 2018, ma mère a eu 90 ans et puis on a pensé la perdre cette année, mais là ça va bien alors on est en contact plus qu’on l’a jamais été avec cette réalité-là de la vie. Puis moi la mort ça m’inquiète pas. Je me dis : « Peu importe ce que je fais, ça va arriver quand ça va arriver. » La souffrance m’inquiète peut-être plus que la mort, mais je me dis : « Je suis juste un petit morceau de l’engrenage et puis moi je vais passer, puis il y aura d’autres choses, puis j’espère que mes enfants vont être heureux. » Puis, je pense à ces choses-là plutôt que de me dire : « Mon Dieu, tu sais, ça va finir à un moment donné. » Oui, mais encore une fois, quand on est dans l’accomplissement de ce qu’on veut faire, dans la réalisation de ce qu’on veut faire, on a un sens d’avoir accompli quelque chose puis de peut-être d’avoir contribué à notre communauté puis d’avoir tu sais mis le doigt sur le bonheur. Je ne peux pas demander plus que ça. J’ai été tellement gâtée! J’ai été tellement gâtée par la vie. Je me dis : « C’est déjà ça…

ML : Oui.

SK : Puis on verra ce qui va se passer par la suite. »

ML : Justement quels conseils donnerais-tu aux gens, quelqu’un qui n’a pas encore emboité le pas vers la retraite? 

SK : Préparez-vous. Je pense qu’une retraite heureuse ça n’arrive pas par hasard. Il faut y penser. Il faut être honnête avec ce qu’on veut faire, ce qu’on veut être dans cette partie-là de la vie. Je trouve ça toujours un peu triste de voir des gens, puis on dirait peut-être que du côté des hommes c’est un petit peu plus commun que du côté des femmes. Souvent, bon, on voit des hommes qui vont plus travailler, travailler, travailler, travailler, puis quand ils arrivent à la retraite, ils se sentent un peu perdus. Il y a beaucoup de gens qui m’ont demandé, puis au moment où on se parle ça fait quatre ans que j’ai arrêté de travailler, qu’ils me disent : « Est-ce que tu t’ennuie de ça? » « Pas du tout. » Puis quand on réussit à faire ce passage-là, ça été extraordinaire. Maintenant, je vis autre chose puis demain je vais vivre autre chose, alors je pense qu’il faut être dans le moment présent puis profiter de la vie qui peut être tellement extraordinaire si on décide de la rendre extraordinaire. 

ML : Je voudrais terminer avec quelques petites questions à rafales. Routine ou spontanéité?

SK : Spontanéité.

ML : Lève tôt ou oiseau de nuit?

SK : Oiseau de nuit. 

ML : Paysage connu ou nouveaux horizons

SK : Nouveaux horizons.

ML : La retraite, une destination ou un voyage?

SK : Un voyage.

ML : L’aspect le plus plaisant de la retraite? 

SK : La liberté.

ML : Son aspect le plus difficile?

SK : Les rides (rires).

ML : C’est bon. Et peut-être compléter la phrase. La retraite c’est…

SK : Merveilleux. 

ML : Suzanne Kennelly. Merci beaucoup. 

SK : Merci.

ML : Vous venez d’écouter un épisode de la Balado – Le temps de vivre avec la chanteuse Suzanne Kennelly. Cette série est produite par la Fédération des aînés franco-manitobains et a été rendue possible grâce à l’appui financier du Gouvernement du Canada. Je vous laisse avec cette pensée de notre invitée, Suzanne Kennelly, qui a dit : « Quand on prend de bonnes décisions pour de bonnes raisons, de bonnes choses arrivent. » Ici Monique LaCoste, merci de votre écoute et à la prochaine.

La série balado Le temps de vivre est produite par la Fédération des aînés de la francophonie manitobaine et a été rendue possible grâce à l’appui financier du gouvernement du Canada.