Le temps de vivre

Charlotte Hébert
Piano, psycho et compassion

Cet épisode nous fait découvrir CH, une psychologue clinicienne qui, après avoir vécu plus de 40 ans dans la région de Gatineau au Québec, a voulu profiter de la retraite pour se rapprocher de sa famille à Saint-Boniface au Manitoba. Entre ses occupations familiales, trois conseils d’administration, quelques clients – pour ne nommer que quelques-unes de ses occupations – Charlotte n’a pas le temps de s’ennuyer. Ajoutez à cela le piano, une passion qui a toujours fait partie de sa vie.

Chapitre Un

Le piano, une leçon de vie

Avec deux albums de ses compositions de jazz à son actif, Charlotte Hébert aurait bien pu choisir une carrière en musique plutôt qu’en psychologie. D’ailleurs, dès l’enfance, tout semblait indiquer que la petite Charlotte se destinait à une carrière musicale.

Charlotte Hébert (CH) : J’avais une tante qui était handicapée, Marcelle Couture. J’ai dans l’idée d’écrire son histoire un de ces jours parce qu’elle était une femme vraiment inspirante. Oui, oui elle a enseigné à toutes sortes de gens dans ma génération puis les générations après. Puis elle avait trois maternelles, une à 9 h, une à 10 h, une à 11 h puis c’était tous des petits puis elle avait sa petite étude genre salle de classe. Puis l’autre chose qu’elle faisait c’est qu’elle donnait des cours de français à des anglophones dans l’après-midi. Elle avait créé son emploi puis c’est elle qui m’a donné mes premiers cours de piano. C’était intéressant.

Monique LaCoste (ML) : Intéressant.

CH : Elle avait le grand Heintzman, le vieux, vieux de ma grand-mère puis elle jouait, elle. Elle était très intéressée par ce que je faisais en musique puis elle me faisait jouer. Elle avait un rêve que j’aille à Vincent-d’Indy parce qu’elle avait lu beaucoup à propos de cette école de musique là. J’avais fini mon bac au Collège puis l’année suivante, j’ai fait ma demande pour aller à Vincent-d’Indy. J’ai été acceptée à Vincent-d’Indy, mais pour me rendre compte qu’ils m’avaient placé… parce que j’avais un Bac. es arts déjà, ils m’avaient placé dans la troisième année de Bac. en musique. Il y avait des tas de cours que moi j’avais jamais pris. J’avais pris des cours de piano et de théorie ici mais les étudiants qui étaient là pouvaient prendre une pièce puis la jouer… presqu’à vue, tu sais. Nous on avait jamais eu ça avec Sr Isabelle, ma prof, alors ça été vraiment, vraiment comme un coup de réel. Tu sais, tu pars de Saint-Boniface une des bonnes pianistes de ta petite ville puis t’arrives là-bas puis t’es comme… les meilleurs ils avaient 12, 13 ans puis moi j’arrivais, je le sais pas, j’avais 20 ans.

ML : Comment t’as vécu ça?

CH : J’ai trouvé cette année-là très dure, sauf que je vivais avec une personne du Manitoba et je vivais assez proche que je marchais. Je me souviens qu’il fallait que tu réserves tes heures de pratique parce qu’il y avait des salles de pratique partout dans Vincent-d’Indy. La religieuse qui menait, là, elle attendait en haut des escaliers, c’était les Sœurs Jésus-Marie, les mains comme ça (les mains sur les hanches) si t’étais cinq minutes en retard, tu sais. Finalement, je me suis dit : « Je vais louer un piano. » Alors je me suis débarrassée de cette religieuse-là et de cette contrainte là ça fait que je pratiquais chez moi puis effectivement je pratiquais mieux puis plus souvent.

ML : Moins de stress.

CH : Bien oui, tu sais…

ML : Quand tu es partie pour Montréal cette année-là, est-ce que tu partais avec le rêve de devenir une grande musicienne, de gagner ta vie comme musicienne?

CH : L’idée d’être pianiste de concert m’avait effleuré l’esprit c’est sûr, mais je suis quelqu’un de très pragmatique, moi. Puis quand je suis arrivée là puis j’entendais juste dans les salles de pratique, j’entendais jouer, je me suis dit : « Ooh! Non. » J’avais une prof, une leçon d’une heure par semaine avec une religieuse et aux deux semaines, on avait ce qu’ils appellent une classe de maître, alors, moi, j’étais dans un groupe de peut-être huit puis on avait chacun notre tour à jouer une pièce et, après, on écoutait la leçon, ça fait que t’apprenais en écoutant quelqu’un d’autre. Puis ma première expérience a été d’une humiliation, là, absolument horrible. J’ai jamais compris, puis j’ai vu ça souvent, un enseignement qui utilise l’humiliation comme méthode d’enseignement et c’est souvent, souvent, souvent le cas dans des cours de musique où tu te fais… bien… puis Sr Isabelle elle me frappait, elle nous frappait… tu sais ce que je veux dire, ça se fait plus d’enseigner comme ça.

ML : Absolument.

CH : Ça se fait plus. Mais dans cette classe-là, je me suis rendu compte que d’une certaine manière, je savais rien. Je veux dire même au niveau pianistique, cette fois-là je veux dire j’étais pas prête comme ce à quoi elle s’attendait, puis j’étais certainement pas prête comme les autres alors je me disais : « Ouf! La petite du Manitoba… » Je me souviens d’être sortie de là. J’ai marché pour chez nous. J’ai pleuré tout le long, tout le long puis j’ai dit : « Je m’en va. » Puis ça c’était, tu sais, à l’automne. On est septembre, octobre, je sais pas trop, septembre probablement. Puis tout d’un coup c’est là où j’ai décidé de louer le piano et c’est là où je me suis dit : « On va voir. » Puis encore probablement par peur et par humiliation, j’ai appris à travailler une mesure à la fois jusqu’à ce que tu l’aies puis il faut que tu l’aies dans les doigts avant d’en faire de la musique. Mais je me suis trouvé une méthode. Mais ma deuxième leçon deux semaines plus tard par exemple ça très bien été et j’ai appris comment apprendre pour moi-même puis ça m’a aussi donné beaucoup pour enseigner par après.

ML : En tout et partout, qu’est-ce que tu retiens de l’expérience d’être allé à Montréal pour étudier la musique?

CH : À Vincent-d’Indy?  Ouf c’est une très bonne question. Ma ténacité, je pense, et en même temps mon sens de réalisme. Ce qu’ils m’avaient dit à la fin de mon année c’est que j’avais ce qu’il fallait pour être pianiste de concert, mais que j’avais besoin de deux ans de technique pianistique; c’est-à-dire de travail de huit heures par jour. Ça fait que tu finis par avoir juste, juste, juste de la musique dans la tête.

ML : Oui.

CH : J’étais dans un monde très isolé et très hermétique. Tu peux pas t’asseoir avec quelqu’un prendre un café puis dire que t’as trouvé un nouveau doigté pour telle chose tu sais.

ML : Oui.

CH : Puis je suis quelqu’un qui aime beaucoup les gens quand même alors, tu sais, c’est pas… ce que je voulais faire vraiment c’est trouver le sens de la vie, tu sais. Le premier souvenir concret ou clair que j’ai, j’ai neuf ans où j’avais l’impression qu’il y avait quelque chose en famille où il y avait comme un nuage ou quelque chose se passait qui se disait pas. J’allais souvent, souvent, souvent à la messe le matin moi pour le carême. Puis en chemin je m’étais dit ça. Je me souviens je réfléchissais à ça. Je me disais : « Qu’est-ce qu’il y a dans le nuage? Comment ça se fait que les affaires se disent pas? » Comme si j’aurais eu besoin d’une compréhension de quelque chose de plus.

ML : Et est-ce que tu pouvais en parler avec quelqu’un?

CH : Non. J’en ai jamais parlé. J’aurais pas su comment en parler non plus. Probablement quand même que la personne à qui je parlais le plus à c’était maman, mais j’y aurais jamais dit quelque chose comme ça. C’est comme si je suis devenue consciente de tout ce qui était jamais dit tu sais, puis je suis sûre que ça existe dans toutes les familles, ça, les non-dits.

ML : Et à cette époque en particulier où…

CH : Ah bien, il y a rien qui se disait. Tu peux pas dire à tes parents que t’es fâchée, tu sais… contre eux je veux dire, même si on l’est. Puis il me semble que l’ouverture est venue dans la génération suivante, mais certainement pas dans la mienne.

Chapitre Deux

À l’aise face à la détresse des autres

Charlotte Hébert a complété deux bacs et a considéré une carrière de pianiste de concert avant de se lancer en psychologie. Elle nous raconte sa transition entre ces deux univers.

CH : Tu sais, c’est tout un parcours. Je veux dire, après mon bac au Collège ici (à Saint-Boniface), j’ai fait mon année à Vincent-d’Indy et puis là je voulais pas juste laisser ça là… parce que j’ai quitté avant d’avoir fait le bac en musique. J’avais fait un an, mais ce qui me permettait quand même d’entrer ici. Je suis entrée, je pense, l’année de la Fondation d’écoles de musique à l’Université du Manitoba. Ah, on a assez aimé nos cours là! Tu sais, on en voulait plus, puis plus. Puis moi, évidemment, j’enseignais aussi à cause de tout ce que j’avais fait à Vincent-d’Indy. J’avais de la technique ça fait que… j’ai eu beaucoup, beaucoup de plaisir. J’ai fait deux ans, j’ai fini mon bac puis après ça je suis partie pour Ottawa. J’ai enseigné au Bureau des langues puis après ça j’ai pensé… j’ai pris des cours pendant que j’enseignais au Bureau des langues c’était l’année de ’70 où tout le monde allait devenir bilingue. On est pas… on est pas dans les années 2018 quand on est en train d’arracher le français de partout là. En tout cas, puis on enseignait quatre heures par jour puis on préparait nos cours pendant le reste du temps, mais on nous donnait nos étés pour étudier. Alors si t’étudiais quelque chose de connexe puis parce que j’étudiais en psycho, mes cours étaient payés par la Commission de la fonction publique. Puis j’ai fait deux cours à l’été de six crédits chaque, des gros cours de psycho. J’avais fait deux cours à partir du mois de septembre le soir et j’ai tombé en amour! Mon premier cour, je me rappelle j’ai fait : « Ah oui! C’est ça! ». J’ai eu les meilleurs profs puis j’en « mangeais ». J’en « mangeais ». J’ai eu une moyenne de 95%, je pense, puis ça c’était ma maitrise, tu sais. On avait… écoute, j’avais 21 heures de cours par semaine en plus de mes étudiants de musique. J’avais des étudiants de musique à la maison, là.

ML : Mais Charlotte, clairement tu as l’âme d’une psychologue clinicienne aussi, parce que depuis que tu parles de psychologie là, tes yeux étincellent.

CH : Ah oui. C’est…

ML : C’est vraiment ton domaine.

CH : Le côté clinique j’en ai fait pendant des décennies. J’ai eu des clients. J’ai vu des gens. J’ai fait des groupes puis j’ai aussi suivi une supervision pendant une trentaine d’années avec un petit groupe de psychologues et puis quelqu’un qui était comme notre mentor, si tu veux. Alors j’ai travaillé… toutes les semaines, je me rendais d’Ottawa à Montréal pour travailler avec ce petit groupe-là. Nous on est parmi les rares psychologues qui ont travaillé… qui avons travaillé notre profession, mais en direct avec d’autres. Comme je pouvais, disons, parler d’un client qui m’éveillait de beaucoup d’impatience, disons quelque chose comme ça. Bien on travaillait avec mon impatience. On travaillait pas avec…

ML : Comment changer le comportement ou… oui.

CH : Le client il a droit à sa vie.

ML : Oui.

CH : Bien, moi aussi, puis il faut que je regarde qu’est-ce que c’est, qu’est-ce qui m’affecte, qu’est-ce qui me… ça fait qu’on a travaillé… imagine faire ça une trentaine d’années. Tu finis par avoir une petite idée de qui tu es, alors il y avait ça. Il y a eu tout le côté clinique. J’ai eu un groupe que j’ai suivi une vingtaine d’années, alors chaque semaine… et ces gens-là sont encore en communication avec moi et j’ai eu aussi j’ai fait tout le côté formation aussi qui est découlée de ça.

ML : Est-ce que c’est le contact avec l’autre, la quête d’une réponse? Qu’est-ce qu’il y a dans ce travail-là qui vient te chercher?

CH : Ce qui m’allume vraiment c’est quand on est dans les vraies choses, quand on est dedans. Indépendamment du type de détresse, quand on entre dedans, je suis à l’aise avec ça. Je suis… c’est pas quelque chose qui me fait peur maintenant. Plus quelqu’un entre réellement dans sa détresse ou dans ses côtés sombres, plus cette personne-là s’épanouit. Ça arrive pas tout de suite après une session. C’est pas comme ça que ça marche là.

ML : D’accord. Oui, oui.

CH : Puis quand quelqu’un commence à travailler avec moi maintenant, je vais leur dire : « Ça se peut que t’aies l’impression de plonger, mais il faut tu te fies que ça va remonter. » Alors on plonge, puis on remonte plus haut puis on plonge, tu sais. Puis c’est… on replonge souvent dans les mêmes genres de choses. Moi, suivre quelqu’un qui est dans ce qu’on appelle, nous, une démarche, c’est pas une solution de problèmes. C’est pas ça. C’est d’aider ou d’accompagner quelqu’un pour qu’il se touche à l’intérieur. Parce que je veux dire, il y a plein d’affaires, nos maladies, nos mots, notre « acting out », n’importe quoi vient de quelque chose qui est bloqué en nous, mais on a tendance les humains à blâmer beaucoup. Tu sais : « Je suis pas à l’aise. » « Bien ça doit être à cause d’un tel ou tel ou quelque chose que quelqu’un m’a dit ou… » J’étais en train de lire quelque chose l’autre jour où la personne dit qu’elle est très à l’aise avec la détresse et je le suis.

ML : Dans tout ça, la musique a demeuré un point très important dans ta vie n’est-ce pas?

CH : J’ai toujours, toujours eu un piano chez moi. J’ai eu des périodes sèches comme on dit, là, où je jouais pas du tout. Ça peut m’arriver de… puis tout d’un coup je m’y remets. C’est beaucoup plus facile pour moi ou simple de composer des choses. Puis c’est fou comment ça arrive parce que je vais m’asseoir là puis… ça dépend d’un événement d’habitude. Quelque chose qui est arrivé ou récemment c’est le décès de quelqu’un ou … Ce qui me vient le plus c’est de la musique introspective puis qu’en même temps qui transmet, je pense, un état d’âme.

ML : Et qui touche oui, oui, oui.

CH : Je pense, je pense.

ML : Le spectacle tu en fais encore aujourd’hui?

CH : Un peu. J’ai fait un spectacle ici (à Winnipeg) en novembre en 2016 je pense. On a fait un tout petit… mon ami est partenaire en musique là, Yves Sergerie, c’est mon âme sœur en musique lui, sauf qu’il joue de l’harmonica. Mais lui la première fois qu’il a entendu mes choses, il a dit : « Moi je suis un blues man. Je suis pas capable de jouer ça, tu sais. » Puis tout d’un coup, il s’est mis à écouter une de mes pièces plus flyées et de mon premier disque puis il s’est dit : « Je vais lui envoyer n’importe quoi qui me vient à la tête puis là elle va me laisser tranquille. » C’est ça qu’il s’est dit. Ça fait que moi j’ai adoré ce qu’il avait fait parce que ça faisait toute une autre ambiance… la texture l’harmonica avec le piano, là. Moi, les pièces qui vont le mieux c’est les pièces qui ont beaucoup, qui donnent beaucoup, beaucoup de place à l’improvisation. Alors chaque fois qu’on la joue, elle va être un peu…elle va être différente d’une certaine manière.

ML : Vous avez fait un concert salon récemment n’est-ce pas?

CH : On n’a fait un ici chez moi quand Yves est venu me visiter. C’était en septembre (2018) et je vais à Chicoutimi chez lui. Il va organiser quelque chose dans un restaurant. C’est comme un souper concert si tu veux ou quelque chose comme ça puis peut-être une cinquantaine de personnes ou c’est ça que lui il veut qu’on fasse ça fait qu’on travaille avant puis on fête après, là. Mais on a du plaisir… parce qu’il a tout ce qu’il faut chez lui aussi puis, ouais… ça fait qu’on a du fun ensemble.

Chapitre Trois

La compassion pour les autres et pour soi

Psychologue, musicienne, amoureuse de la vie et des gens, pour Charlotte Hébert la retraite ne voulait pas simplement dire quitter son travail, mais aussi sa terre adoptive de Gatineau où elle vivait depuis plus de 40 ans. Charlotte raconte à quel moment le projet de retraite a commencé à prendre forme.

CH : Probablement quelque chose comme deux ans avant que je décide de prendre ma retraite parce que tu… ça, je savais pas ça quand j’ai commencé à pratiquer, mais tu lâches pas une clientèle d’un coup sec. J’ai commencé tranquillement à en parler puis évidemment certains clients qui ont mal réagis puis, tu sais, ça prend tout un temps. Une partie du fait de quitter, quand tu es psychologue et puis t’as suivi quelqu’un pendant un bon bout, c’est de vivre avec toute la douleur de la séparation du départ tu sais.

ML : Bien oui.

CH : Puis ils le savaient. Je veux dire… puis j’ai parlé de ma mère qui était en train de vieillir puis que je voulais passer du temps avec elle, tu sais.

ML : Tu voyais que tu voulais passer plus de temps avec ta maman?

CH : Bien, il avait l’idée de passer du temps avec maman puis il y avait aussi le fait que ma famille, en gros, est ici. J’ai deux sœurs ici. J’ai un frère ici puis j’ai une nièce qui a cinq enfants, ma filleule de fait, puis on est proche, puis je l’aide quand je peux, puis j’apprends à connaitre les petits.

ML : Cette transition pour toi ça tu été une transition facile, naturelle? Comment t’as vécu ça?

CH : Je me voyais pas arrêter au complet, hein. Alors une des premières choses que j’ai faite c’est que j’ai contacté l’Association des psychologues du Manitoba pour voir qu’est-ce qu’il fallait que je fasse comme équivalence.

ML : Et donc tu es arrivée ici avec l’idée de continuer à…

CH : À pratiquer si je pouvais. Mais ça m’a pris un an à remplir toutes les exigences. Actuellement j’ai quatre clients que je vois chaque semaine, ça fait que je travaille un peu et je fais partie de trois différents conseils d’administration puis, ça, ça me tient occupée. Ma priorité c’est maman, puis je la vois presque tous les jours.

ML : Elle a quel âge?

CH : Elle va avoir 103 le 3 février (2019).

ML : Cent trois ans!

CH : Oui.

ML : Et elle est comment?

CH : Elle trouve ça très long. Elle perd beaucoup, hein. Sa vue diminue de beaucoup. Son ouïe est très faible aussi, alors, tu sais, elle peut plus faire ses mots croisés. Elle dit : « Tout ce qui me reste à faire c’est être assise ici puis attendre. » Puis c’est réel, hein. C’est une réalité du vieillissement.

ML : Est-ce que c’est difficile, plus difficile d’accompagner ses propres parents que, disons, d’avoir des clients?

CH : J’ai jamais trouvé le temps long puis je trouve pas le temps long avec maman en général. Si je suis particulièrement fatiguée, des fois, là, je suis impatiente, mais c’est rare. C’est vraiment rare.

ML : Vous avez une bonne relation je crois, hein?

CH : Oui. Oui, oui. Elle est très proche. On est proche, mais, moi, je pense que d’une certaine manière, elle peut me dire n’importe quoi. Elle peut me tirer la langue. Elle peut dire qu’elle est tannée de moi. Elle peut dire toutes sortes d’affaires. C’est correct, tu sais.

ML : Alors ça c’est quotidien, des visites chez maman c’est tous les jours.

CH : À peu près. Au moins, je dis une moyenne six sur sept.

ML : Ce n’est pas tout. Tu es aussi enseignante de cours portant sur la Compassion pour soi, entre autres?

CH : Oui, j’ai fini mon programme alors ça c’est une autre chose. J’y pensais même plus, mais j’ai commencé par faire les huit semaines du MBSR.

ML : Qui est Mindfulness-Based Stress Reduction.

CH : J’ai commencé avec ça, puis j’ai fait ça avec Micheline St-Hilaire. J’ai vraiment beaucoup, beaucoup aimé le cours et ensuite j’ai pris le cours de Compassion pour soi de huit semaines puis l’année dernière, j’ai fait ce qu’ils appellent le Train the Teacher puis après le Train the Teacher, je suis allée refaire le cours de huit semaines, mais qui se donnait de façon intensive avec Kristin Neff et puis Chris Germer, les fondateurs, là.

ML : Premièrement le mindfulness, on dit pleine conscience en français, qu’est-ce que c’est, exactement?

CH : T’arrêtes et puis tu respires puis tu tournes ton regard à l’intérieur de toi puis tu fais juste concentrer sur qu’est-ce qui se passe à l’intérieur de toi à ce moment-là. Ça ça peut durer 60 secondes. Ça peut durer 10 même. Alors c’est de s’arrêter puis voir qu’est-ce que j’ai, où est-ce que je suis? Et ce qui m’intéresse beaucoup de ça, moi… moi, en tout cas, la pleine conscience c’est pas un but c’est une façon d’être. C’est une manière de voir la vie. C’est une façon de se ressentir. Alors par exemple, disons je suis dans une réunion, puis quelqu’un qui se met à parler trop d’après moi là, à parler trop, à tourner en rond, à répéter les mêmes affaires puis là je m’entends là : « Ah mon Dieu. Il vas-tu finir? Ça vas-tu arrêter? » Puis là je suis beaucoup plus capable de dire : « Qu’est-ce que t’as-tu sais? » C’est pas de la faute de cette personne-là que moi je suis en train de grimper dans les rideaux et le fait que je suis en train de grimper dans les rideaux disons, je me sers de ça ou d’être impatiente, je me fais mal.

Je me fais mal et plus je peux être impatiente ou irritée, plus je le sens dans toute ma musculature, plus je me dis : « Mon Dieu qu’on se fait mal. » On se fait mal. Ça changera rien à moins que je fasse un « acting out » qui est ridicule, tu sais : « Veux-tu te taire? » Je dirais pas ça, alors respire puis si t’as pas le goût d’écouter, bien c’est correct. Fais des dessins. C’est ok, tu sais. Moi je le sais que j’aime pas du tout ce côté-là de moi qui s’impatiente pour des choses comme ça. J’aime pas ce côté-là de moi, alors le travail que j’aurais à faire ou que j’ai à faire qui est quotidien, je dirais c’est de me pardonner mon impatience. Elle existe à l’intérieur de moi. Je fais pas exprès. Ça monte comme ça et je pourrais disons prendre cette impatience-là, si on veut une image, dans mes bras puis dire : « T’es faite comme ça tu sais. » Puis l’autre chose aussi : ça va passer. Il y a pas d’état qui est permanent. Tout est en train de se transformer à chaque seconde, tu sais, ça fait que ça durera pas tout le temps et tu n’es pas que ça. Oui, ces moments d’impatience là arrivent puis il y en a un, là, là, mais : « Vois-tu? R’garde, t’es déjà sorti de ça parce que t’es rendue à y penser. » Ça c’est ce que l’auto compassion fait. Ça nous ramène à se recevoir autrement, à se recevoir avec tendresse, douceur un peu. Moi j’ai tendance à être dure sur moi surtout dans des choses comme ça. C’est correct. C’est correct. Passe à autre chose. Essaie de lâcher ça.

Chapitre Quatre

Rencontrer le vieillissement avec tendresse

Charlotte Hébert a passé sa vie professionnelle à accompagner les autres dans leurs voyages intérieurs, alors comment vit-elle cet aspect inévitable de la retraite, le vieillissement?

CH : En ce moment, là, à l’âge que j’ai, j’ai fait une forme de deuil. Je me souviens pas quel âge j’avais, mais je me souviens la première fois que je me suis dit : « On dirait que je suis plus pareil. » Puis c’était surtout côté énergie. Le mot qui m’est venu c’était en anglais « blindsided » comme si « I was blindsided by age, aging » (le vieillissement m’a pris de court).

ML : À quel moment ça?

CH : Il y a une dizaine d’années. Je l’ai senti là : « Ah, c’est ça vieillir! » Je voyais mon énergie diminuer et puis, bien, je suis quelqu’un qui a fait beaucoup de sport. J’ai fait toutes sortes d’affaires, tu sais, puis il y a des choses qu’il a fallu carrément que j’arrête. Moi je peux plus jouer au squash. J’ai adoré. J’ai joué pendant une vingtaine d’années. J’ai mal à un bras. Il y a quelque chose ici, puis mes deux genoux ils ont de la misère, alors ç’a été un deuil vraiment, vraiment difficile. Puis en même temps, bien je me suis acheté des élastiques de genoux puis je me suis dit : « Qu’est-ce que je peux faire? » Je peux faire de la raquette. Je peux faire du ski de fond et je marche aux deux jours un six, sept, huit kilomètres assez rapides. Alors je peux faire ça. Je suis en train d’essayer de mettre en pratique l’auto compassion. C’est une réalité, vieillir. C’est réel et moins je me bats, plus ça peut devenir une expérience de plénitude. Alors moi je me couche l’après-midi presque tous les jours. Je me couche. Des fois, je dors, des fois non puis des fois ça me fait un bien là. Je me dis : « Ça me prend ça. » Mais je me couche tôt le soir. À matin, j’étais debout à 5 h 30. C’est de vivre avec, d’apprendre à transiger avec ce corps qui change. Mais je regarde ma mère qui se bat encore. Elle a dit à un moment donné : « J’ai perdu toute une partie de moi-même. » Je sais même pas. On sait pas qu’est-ce que l’avenir apporte hein, mais en ce moment, je dirais les pertes je les prends avec une certaine tendresse à mesure.

ML : Quand on sait que sa mère a 103 ans, ça veut dire qu’il y a des chances qu’on va peut-être vivre vieux, aussi?

CH : On est deux personnalités complètement différentes. Maman c’est quelqu’un, elle, qui est capable faire fermer, déconnecter. La minute que quelque chose était trop, elle lâchait. Maman a jamais fait de sports. Pas d’effort supplémentaire. Tempérance totale, mais pas même volontaire. Elle a jamais trop bu. Elle a jamais fumé. Elle a jamais trop mangé. Elle a pris de l’huile de foi de morue tous les jours de sa vie. Ça, là, nécessairement.

ML : Encore aujourd’hui?

CH : Plus maintenant. En liquide, dans son jus d’orange. Tous les jours.

ML : Mais tu ne te vois pas vivre jusqu’à l’âge de 103 ans?

CH : Non. Dans les cinq enfants, il y en a un que je vois vivre vieux, vieux. C’est mon plus jeune frère. Bien je devine là, mais…

ML : On a parlé de vieillissement, quel est ta relation avec la mort?

CH : Inévitable. C’est ce que j’apprends beaucoup, beaucoup avec maman. Tout le chemin qui est de plus en plus difficile pour elle. C’est plate. J’attends. Je me pose la question puis, je sais pas la réponse : « Est-ce que ça va être possible pour moi d’être sereine quand on est en perte comme ça, quand ça sera mon tour? » Je le sais pas, mais je la vois puis je vois la difficulté de sérénité.

ML : Étant une personne qui vit seule en appartement, est-ce que l’ennui ou la solitude fait partie de ta vie ou…?

CH : Oui.

ML : Oui.

CH : Oui, oui. Oui ça fait partie de ma vie, c’est clair et c’est certain qu’en vieillissant, ça se fait… je ressens beaucoup plus le fait de ne pas avoir un compagnon de vie avec qui je peux cheminer dans ça, là. Je le sens beaucoup, beaucoup plus ça. Parce que c’est sûr que démographiquement, les personnes qui sont en couple vivent beaucoup plus longtemps que les personnes seules. Il y a une différence importante,  là.

ML : Alors comment composer avec cette réalité de solitude quand tu sais que c’est ton quotidien?

CH : Composer avec, c’est d’une minute à l’autre, de dire une journée à l’autre, d’une minute à l’autre, je sais pas. Je le sais d’après ce que je lis puis d’après mon expérience à moi que l’interaction fait une différence. Quand le cycle devient comme une spirale alors là je le sais pas moi, soit j’appelle quelqu’un ou j’envoie un texto puis ou bien je me rends à la résidence. À la résidence au quatrième étage, c’est ma famille. Je les connais toutes puis les préposés je les connais tous puis on jase puis tu sais ça change l’état de trou noir là si tu veux. Il y a une chose moi qui me surprend parce que je suis quelqu’un qui a été très, très, très active, mais ce qui m’arrive là ça fait quand même trois ans et demi que je suis rendue ici, mais il reste que j’aime beaucoup rien faire. Niaiser, je peux faire tout à coup je le sais pas moi, un mot croisé ou bien un sodoku ou bien… puis j’aime assez ça. Mais les longues matinées là, c’est tellement le fun. Deuxième café… Puis là je prends mes cours d’Espagnol, la semaine prochaine. C’est un cours avancé qui devrait être le fun parce que la prof est géniale. Ce qui m’intéresse pas encore c’est un voyage organisé avec une, bien, une gang de vieillards (sourire). Je dirais, c’est que la plupart du temps, c’est toutes des femmes. Il va falloir que je me résigne, là. Ah! Je sais pas qu’est-ce que c’est les statistiques à Winnipeg pour ça, mais à Ottawa, c’est 10 pour un, hein. Dix femmes pour un homme.

ML : Vraiment, hein?

CH : Uh hum. C’est des réalités.

ML : Charlotte, j’aimerais finir notre conversation avec quelques petites questions à rafales.

CH : Ok.

ML : Routine ou spontanéité?

CH : Spontanéité, je dirais.

ML : Lève-tôt ou oiseau de nuit?

CH : Lève-tôt.

ML : Paysage connu ou nouveaux horizons?

CH : Woah! Il faudrait que je dise paysage connu parce que je suis bien dans ça, mais pour le moment.

ML : La retraite c’est une destination ou un voyage?

CH : Voyage. C’est une démarche.

ML : L’aspect le plus plaisant de la retraite?

CH : Faire ce qu’on veut puis des fois c’est difficile, mais avoir des tonnes de choix. J’ai le goût d’écrire. J’ai le goût de faire la musique. J’ai le goût de rien faire puis il y a pas de conséquences.

ML : Et son aspect le plus difficile?

CH : C’est ce que je nommais tout à l’heure, c’est la retraite seule, qu’il y a pas la possibilité de vivre ça avec un partenaire ou…

ML : Et complétez la phrase. La retraite c’est…?

CH : Ce qu’on en fait et comment on le vit, comment on le vit, comme avec le souhait de le vivre pour moi en tout cas, de le vivre de façon intérieure avec la personne que je suis, pas en lutte avec ça.

ML : Bien Charlotte Hébert, j’aimerais te remercier d’avoir partagé ce moment d’intimité avec moi et avec les gens qui seront à l’écoute.

CH : Merci beaucoup Monique.

ML : C’était un épisode de la Balado – Le temps de vivre avec notre invitée CH. Cette série est produite par la Fédération des aînés franco-manitobains et a été rendue possible grâce à l’appui financier du Gouvernement du Canada. Je vous laisse avec une citation de notre invitée qui a dit : « vieillir c’est d’apprendre à transiger avec ce corps qui change. On le sait pas ce que l’avenir apporte, mais en ce moment, je dirais que les pertes, j’essaie de les prendre avec une certaine tendresse ». Une belle invitation pour nous tous. Ici Monique LaCoste. Merci d’avoir été là. À la prochaine.

La série balado Le temps de vivre est produite par la Fédération des aînés de la francophonie manitobaine et a été rendue possible grâce à l’appui financier du gouvernement du Canada.