Chapitre Un
Une rentrée scolaire pas comme les autres
En compagnie de Monique LaCoste, Bertrand Nayet raconte sa première journée officielle de retraite en septembre 2018 lors de la traditionnelle rentrée scolaire.
Bertrand Nayet (BN) : C’était… c’était vraiment très simple. Mon épouse et moi nous avons pris notre retraite en même temps et le jour de la rentrée ou le jour qui aurait été la rentrée scolaire, nous nous sommes tout simplement levés tard. On a fait une petite journée puis c’était aussi simple que ça. C’était pas un grand bouleversement. C’est pas… pas de pincement au cœur. C’était juste la vie qui continuait, un peu comme au printemps quand on se rend compte qu’on peut sortir sans son manteau… qu’on soit dehors ou à l’intérieur. Non, il y avait pas de changement majeur. C’était simplement on continue la vie. On continue les vacances. La vie telle quelle, je pense, devrait être pour tout le monde; c’est-à-dire, que tout le monde devrait avoir la possibilité et le choix de faire ce qu’il ou elle veut faire sans être contraint par la nécessité de gagner de l’argent des choses comme ça, faire ça, faire ce que je veux vraiment faire.
Monique LaCoste (ML) : Parlons de tes activités. Qu’est-ce qui t’occupe aujourd’hui… parce qu’il y a beaucoup de choses qui t’occupent, je crois?
BN : Oui il y a beaucoup de choses. Bien l’enseignement c’est quelque chose que j’ai beaucoup aimé. J’ai adoré ça et même de plus en plus puisqu’au fur et à mesure que je prenais de l’expérience, je pouvais enseigner des cours qui me passionnait davantage. Mais j’ai aussi remarqué qu’au fur et à mesure que je progressais dans l’enseignement, en même temps et en parallèle à l’extérieur de l’école, les arts visuels, les arts de l’écriture, du théâtre et d’autre chose, un peu de cinéma, un peu de dessin et toutes sortes de choses prenaient à chaque année de plus en plus de place, si bien qu’arrivé au moment où je me suis dit si je pouvais prendre ma retraite, ce que je fais en art va prendre et prend maintenant la place de ce que je faisais à l’école tout en me permettant de passer plus de temps avec ma famille, de prendre plus de temps pour aller dehors, pour faire du sport, pour m’occuper de moi ou simplement pour ne rien faire. Je trouve que ça c’est un très grand luxe, le luxe de pouvoir choisir aujourd’hui je me lève pas. Aujourd’hui je fais la grâce matinée. Aujourd’hui je me couche à 8 h. Aujourd’hui je choisis de passer la journée à lire même si c’est un mercredi.
ML: Sans culpabilité.
BN: Sans culpabilité… Bien ça il faut que je travaille encore un peu dessus parce qu’on a toujours été conditionné à être productif depuis la maternelle jusqu’à ce qu’on rentre sur le marché du travail et même au-delà. Il faut que nos journées soient remplies. Il faut que chaque geste que l’on pose serve à quelque chose, serve à assurer l’avenir de nos enfants, serve à nous assurer à nous un avenir et contribue aussi au bien-être de la société par les impôts, etc., etc., alors on est toujours habitué à produire. Quand je me retrouve devant une plage de temps vide d’essayer de pas avoir cette angoisse de la remplir. Mes promenades sont plus longues. Mon réveil le matin est plus long au lieu de simplement juste avoir mon réveille-matin qui sonne, j’ai plus de réveille-matin. J’ai choisi… j’ai plus de réveille-matin. Je me réveille pour l’instant quand je me réveille, mais maintenant au lieu de sauter du lit dès que j’ai les yeux ouverts, bien ça prend un peu de temps. Je me rendors. Je me colle contre ma chum. Je passe un peu de temps simplement à réfléchir, à penser, à laisser les rayons du soleil glisser sur le mur. Ça parait banal, mais c’est des moments qui me permettent de voir qu’est-ce qui est important aujourd’hui. J’ai pas de me dire que j’ai pas le besoin de toujours toujours être comme un petit rat qui roule dans sa petite roulette là.
ML: Parce qu’il faut le dire. L’horaire est roi dans une école.
BN: C’est terrible.
ML: C’est à la minute.
BN: C’est à la minute près à toutes les heures ou toutes les 40 minutes, toutes les 50 minutes, toutes les heures, c’est dring, dring, dring. Il faut passer à autre chose, un autre groupe d’élèves et ça c’est minant après un bout de temps. Maintenant quand j’entends dans les quartiers les cloches des écoles, je m’en éloigne. Je tourne à droite ou à gauche pour éviter de passer près de l’école. Mais c’est pas du stress post-traumatique, mais c’est un peu ça. C’est comme on veut éviter cet aspect des calendriers ou des horaires, surtout des horaires.
ML: Absolument. Parlons des faits saillants par contre. Qu’est-ce qu’il y avait dans l’enseignement qui vous parlait, qui vous allumait?
BN: On est toujours en train d’apprendre. Même les cours que j’ai enseignés pendant des décennies, je pense pas que j’en ai enseigné un de la même façon d’une année sur l’autre. Bon les groupes changent, les élèves changent, leurs intérêts changent, mais aussi pour moi c’est très important de toujours être stimulé, avoir quelque chose de pétillant, une étincelle dans ma voix, dans mon regard, mais aussi de voir une étincelle dans le regard des élèves. Alors j’ai jamais hésité à prendre une tangente parce que des fois je retrouve des certains élèves des années plus tard qui me disent : « Te souviens-tu monsieur quand tu nous as parlé de ça? » Et c’était pas au programme. C’est des choses qui sont… qui arrivent à l’impromptu, à l’improvise comme ça et qui sont toujours passionnante. Quand ça arrive, ça leur permet des fois de… et ça me permet aussi à moi de créer des liens entre des choses qui n’en ont pas nécessairement au premier regard, mais qui nous font réfléchir. Alors ce que j’ai aimé c’est être toujours en apprentissage même si je leur enseigne de la littérature du 16e siècle, leur essayer de voir comment ça peut se relier à ce qu’on vit aujourd’hui… C’est ce que j’espère.
ML: Et c’est ce qui le rend intéressant pour eux.
BN: C’est ce que j’espère.
Chapitre Deux
Dessiner, écrire, bricoler… rien de plus naturel
Pour des centaines de jeunes Manitobains le nom Bertrand Nayet rime avec enseignant. Pourtant, Bertand est bien connu dans la francophonie canadienne pour ses talents d’auteur, de comédien et d’artiste visuel. Sa passion pour les arts a pris racine dès son jeune âge.
BN: Du plus loin que je me souvienne, je pense que dès que j’ai pu tenir un stylo ou un crayon, j’ai dessiné. Je me souviens encore de la première histoire que j’ai écrite à l’école et j’y ai pas réfléchi vraiment, c’était simplement on nous a demandé d’écrire une histoire basée un peu inspiré d’un livre qu’on avait lu qui était « La guerre du feu » qui m’a passionné et j’ai écrit une histoire de chasse par un homme préhistorique, mais à la première personne, dans son regard à lui, ce que je fais encore aujourd’hui. J’écris beaucoup à la première personne et mon enseignant, je m’en souviens encore, monsieur Panis, a lu mon texte à la classe. Sur le coup, c’était comme bon ça faisait du bien…
ML : Oui.
BN: Mais je pense que c’est ces choses-là qui ont orienté petit à petit ce que je suis devenu. C’est ça.
ML : Oui et tu as grandi en France.
BN: Oui. Oui bien sûr. Je suis arrivé ici j’avais 13 ans. Mes ancêtres sont des fermiers depuis des générations, des siècles et des siècles amen, en France et dans tout ça. Je crois qu’une chose que la vie à la ferme m’a apportée c’est une grande… bon à la fois une grande résilience, mais aussi une grande débrouillardise. J’ai appris très tôt à me servir des outils. J’aime bricoler. J’aime travailler avec mes mains, la peinture, le dessin, mais aussi la sculpture.
À la fin, j’ai fait des choses, vraiment, aujourd’hui, qui seraient considérées comme extrêmement dangereuses. J’avais vu un reportage à la télévision. Une colonie de vacances en France, ils faisaient des sculptures et ils montraient comment mouler des sculptures avec du plomb fondu et du plâtre, faire les moules en plâtre avec de la cire et puis du plâtre et puis ensuite faire des sculptures en plomb. Eux, ils le faisaient dans un environnement très protégé tout ça. Moi j’ai tout simplement, j’ai récupéré le plomb des vieilles batteries de tracteurs de mon père et j’ai fabriqué des moules et ensuite j’ai fait refondre le plomb que j’avais purifié. C’était extrêmement dangereux. Je sais pas pourquoi… personne m’avait dit de pas faire ça et puis j’ai moulé. J’ai fait fondre le plomb dans les moules et ça m’a donné des sculptures en plomb que j’ai encore.
ML : Que tu as encore?
BN: Que j’ai encore oui. Oui je les ai encore toutes les deux. Alors, l’art, c’est pas quelque chose que j’ai décidé un jour de faire. Ça s’est fait petit à petit. C’est ce que je suis.
ML : C’est tout à fait inné. Oui.
BN: Je peux pas m’empêcher. Je peux pas m’empêcher de faire ça. J’ai fait des sculptures en utilisant le poste à souder de mon père en récupérant de la ferraille ici et là. J’ai sculpté des morceaux de bois avec les outils et tout ça. C’est fou, mais c’est ce que je faisais.
ML : Sur la ferme, ça ressemblait à quoi la retraite? As-tu des souvenirs de ton père ou de ton grand-père à la retraite?
BN: C’est que quand mon grand-père a pris sa retraite, il a pas vraiment arrêté de travailler. Il avait vendu sa ferme à son fils et tout ça, un de ses fils, mais il s’était gardé un terrain. Il s’était construit une maison et tout ça et il avait un immense jardin, un verger aussi. Il avait encore des moutons, un ruché, des abeilles, alors c’était pas vraiment une retraite. Je voyais pas ça comme… je voyais simplement, il continue à faire ce qu’il a toujours fait. Ma grand-mère aussi, elle l’a toujours accompagné comme ça. Mon père lui c’était un peu différent, mais il a continué pendant très longtemps. Il est encore assez actif maintenant aussi. Il a 80 ans. Il est encore très, très, très actif, alors pour moi j’ai jamais vu la retraite comme un arrêt. C’était simplement on continue de faire ce qu’on aime faire.
ML : Alors parle-nous de tes projets actuels, tes projets artistiques. Dans quoi tu es intéressé ces jours-ci?
BN: Ok. Bien je viens de lancer un recueil de poésie qui s’appelle L’enfant rouge qui est publié aux Éditions du Blé (Note : l’interview a été à l’automne 2018). C’est mon premier recueil de poésie en tant que tel. J’ai déjà publié deux recueils de haïkus qui est une forme de poésie, mais qui est pas de la poésie on pourrait dire classique occidentale. Et donc je viens de lancer ce recueil qui est le premier d’une trilogie. Le deuxième est presque terminé. Je suis en train de travailler sur ça en ce moment et le troisième de la trilogie n’est pas encore écrit, mais je commence à y réfléchir. Et j’allie aussi dans mes recueils les dessins et l’aquarelle avec les textes alors il y a pas toujours un texte avec un dessin, mais j’aime amalgamer les deux. Alors pour le troisième, je suis en train de travailler les images parce que pour celui-là, je vais d’abord travailler les images et ensuite écrire les textes en fonction des images. Et alors je travaille sur ça. Pour le troisième, je parle plus au niveau du visuel et c’est plus abstrait. C’est beaucoup moins réfléchi. C’est beaucoup plus instinctif alors ça va être plus dans le futur alors c’est plus quelque chose de prophétique. Ça va plus dans le rêve. Ça va plus dans l’imagination que les deux premiers. Le premier L’enfant rouge c’est le passé avant moi, le deuxième c’est beaucoup plus personnel, c’est moi et le troisième c’est après moi.
ML : Alors, pour toi, c’est pas autant le résultat qui compte, si je comprends bien.
BN: Tout est dans le processus. Tout est dans le processus. C’est toujours comme ça. Pour moi le résultat final c’est un peu toujours décevant parce que c’est la fin du processus. C’est la fin du travail. C’est la fin de la création. Alors par exemple, ce que je viens de faire là justement avec la poésie de trottoir, une des autres choses que je viens de terminer, Poésie de trottoir, un renku, une série de 36 haïkus que j’ai créé avec le Kukaï Rouge que j’anime ici à la Maison Gabrielle Roy.
ML : Qui est un cercle…
BN: Un cercle littéraire consacré aux haïkus. Ç’a été à peu près un an de travail et maintenant c’est terminé. On a terminé ça dimanche dernier et puis j’essaie de le faire vivre un peu plus dans Facebook et tout ça, mais voilà c’est fini.
ML : Et on se sent comment par rapport à ça?
BN: Bien un peu… c’est ça, c’est laisser-aller. Quelqu’un m’a dit : « Tu dois te sentir fier. » Non. J’ai beaucoup de difficulté avec le sentiment de la fierté. J’ai fait quelque chose pour moi c’est… n’importe qui aurait pu le faire. Bon pas vraiment, mais en même temps c’est comme chacun fait ce qui le passionne alors pour moi je vois pas ça comme quelque chose de particulier. C’est ce que je fais c’est tout. Alors ça c’est une des choses que j’ai faites.
Chapitre Trois
La Maison de Gabrielle, source d’inspiration
Notre invité Bertrand Nayet, poète, auteur, comédien, artiste visuel et depuis peu, enseignant à la retraite, a choisi un lieu mythique à Saint-Boniface au Manitoba pour enregistrer notre entretien. Bertrand nous décrit l’endroit et pourquoi il revêt tant d’importance pour lui.
BN: Bien nous sommes au troisième étage dans le grenier de la Maison Gabrielle Roy tout près de la petite lucarne où Gabrielle Roy écrivait probablement ses premières histoires. C’est un endroit où j’ai travaillé pendant à peu près sept ans comme auteur en résidence, un lieu que j’aime beaucoup parce que j’ai eu l’occasion d’y rencontrer des gens vraiment intéressants. J’ai rédigé avec une auteure du Québec, Eveline Ménard, un recueil de contes en 2010 peut-être 2011. J’ai donné des ateliers d’écriture à des gens de la communauté. J’aime beaucoup aider les gens à créer, à écrire.
ML : Comment le fait de faire partie maintenant de l’histoire de la maison natale de Gabrielle Roy… quel effet que ça peut avoir sur toi comme personne, comme amateur de littérature et comme auteur?
BN: Bien premièrement, ça m’a permis de revoir ou de lire plus attentivement l’œuvre de Gabrielle Roy que je trouve vraiment visionnaire. Ça m’a permis de saisir un peu plus l’impact qu’elle a eu sur notre société et ça m’a permis aussi de voir que oui c’est important d’avoir le musée. Oui c’est important d’avoir ce lieu emblématique, de garder en mémoire le fait que cette femme-là, cette auteure, vient d’ici. Mais ce qui est encore plus important que son héritage se transmette aux futures générations et pas simplement ce qu’elle a écrit, mais le cadeau de l’écriture, le fait de pouvoir prendre sa destiné en main par l’écriture, de raconter, de se raconter ou de raconter des fictions, mais pouvoir dire ce qu’ils sont et ça c’est une des choses que j’ai le plus aimées dans cette résidence c’est justement permettre à des gens de développer leurs talents d’écrivains, leurs talents d’écrivaines et leurs habiletés.
ML : Qu’est-ce que Gabrielle dirait du fait qu’il y a un cercle littéraire dévoué aux haïkus qui a débuté ici?
BN: Je crois qu’elle serait fascinée parce que c’est une grande universaliste. C’est une femme qui était une artiste qui était toujours intéressée par la nouveauté par ce qui nous unit les uns aux autres et le fait qu’on puisse ici à Saint-Boniface écrire dans le style des Japonais…
ML : En français.
BN: En français des réalités d’ici. Je crois que c’est fascinant.
ML : Et pourquoi le haïku pour toi… parce que c’est quelque chose que tu as vraiment privilégié un moment donné?
BN: Oui que je privilégie toujours. Je crois que ça a à faire beaucoup avec ma vie agricole. J’adore la nature. Je vis à Saint-Norbert donc c’est la ville à la campagne ou c’est la campagne à la ville. J’aime beaucoup l’animation de la ville, l’aspect vibrant, la vivacité de la culture en ville, mais en même temps je me ressource dans la nature. Une bonne partie de ma journée se passe dehors dans la nature. Je marche. Je fais du ski de fond. Je vais en randonnée seul ou avec mon épouse. Pour moi c’est ressourçant. C’est là où je développe la plupart de mes idées. Ce qui est la base du haïku c’est être présent dans l’instant. C’est un peu la philosophie zen qu’on retrouve chez les bouddhistes d’être ici maintenant. Si j’avais une religion, je serais bouddhiste. Il y en a qui font du yoga. Il y en a qui font de la méditation. Moi c’est du haïku en marchant. Ça peut se faire partout en ville ou en nature, mais c’est être présent dans le moment moi et mon environnement et l’effet que cet environnement a sur moi et comment la nature et les saisons et le temps qu’il fait peut être un reflet de mon tempérament à ce moment-là aussi sans le dire : « Voici comment je me sens. »
ML : Pour les gens qui n’ont jamais vu un haïku, parle-nous un petit peu de la forme.
BN: Généralement, bon, en occident, la façon qu’on l’a adapté à notre alphabet à une façon d’écrire c’est sur trois courtes lignes, trois vers. Le premier a généralement cinq syllabes, le deuxième sept, le troisième cinq, très court. Il y a généralement deux images, une juxtaposition de deux images, de deux situations et c’est dans cette juxtaposition, dans cette cisure, dans cet espace entre les deux images où se situe l’essence du haïku.
ML : Peux-tu nous donner un exemple à brûle-pourpoint?
BN: À brûle-pourpoint comme ça. « Longue pluie d’automne. S’attarder sous un grand frêne, tout de feuilles jaunes. »
On a tous vu des feuilles d’arbres tomber. On a tous vu des biches courant sur la rivière, des oiseaux passés. On a tous vécu ces choses-là. Alors simplement le fait d’évoquer ça, ça peut mettre un sourire sur les lèvres. Ça peut dire : « Ah! Je connais ça. » C’est un peu comme l’expression personnelle, intime, mais qui touche à l’universel que tout le monde peut comprendre.
ML : Maintenant que vous êtes à la retraite, qu’est-ce qui est le plus important pour toi?
BN: Le plus important c’est être… comme on parlait du haïku puis la présence c’est être présent dans le moment, être bien dans ce que je fais en ce moment. Par exemple, pendant très longtemps quand je marchais, je marchais pour aller quelque part donc mon pas était toujours plus rapide parce que mon esprit n’était pas dans l’instant, n’était pas là sur le trottoir ou là sur le sentier. Mon esprit était déjà… se projetait déjà vers l’objectif, vers le but, vers ce que je vais faire là-bas. Aujourd’hui c’est… J’ai remarqué mon pas s’est ralenti et même quand je marche un peu plus vite, la cadence est différente. Mon rythme est différent. Je suis plus dans le moment et même avant je lavais la vaisselle pour m’en débarrasser pour faire autre chose. Là maintenant je prends le temps de laver la vaisselle, j’écoute l’eau, la texture de l’eau, la texture du savon, des assiettes, des tasses, des verres, le bruit, les sons. J’essaie d’être ici présent tout comme quand j’essaie d’être plus présent quand je suis avec mon épouse, quand je suis avec mes enfants, avec ma famille. Alors qu’est-ce que c’est que bien vivre?
ML : Bonne question.
BN: Bonne question. Ça peut varier de différentes personnes, mais est-ce qu’on est fait pour travailler? Bien vivre c’est toujours être à la course, toujours être… avoir le plus de choses possible? Ça vient clicher, mais est-ce que c’est être ou avoir? Bon des fois pour être il faut avoir, mais c’est pas mal d’avoir, mais en même temps jusqu’à quel point? Alors un gros avantage de la retraite pour moi en ce moment c’est que ça me permet de mettre davantage l’accent sur être. C’est ça.
Chapitre Quatre
La retraite et le savoir être
L’auteur, poète, comédien et artiste visuel Bertrand Nayet, qui a pris sa retraite de l’enseignement en juin 2018, accueille avec sérénité cette nouvelle étape de sa vie. En regardant vers l’avenir, comment ce jeune retraité envisage-t-il le vieillissement? Bertrand raconte.
BN: Ah! Bon pour l’instant je suis encore en assez bonne forme, mais quand même, bien je me rends compte que j’ai moins d’énergie. Je me rends compte que les petits bobos guérissent moins vite, moins de force aussi, alors ça demande de ralentir aussi, d’accepter ça. Ça c’est une chose assez difficile, mais ça ç’a vient pas avec la retraite. C’est venu avant.
ML : À quel moment tu as commencé à penser ou à être conscient du vieillissement?
BN: Je pense autour de 45, 46, 47 ans. Quand je me rends compte que non, je peux pas courir aussi vite que les gamins avec qui je m’en vais en randonnée dans les bois, faire du vélo pendant trois heures à fond de train, c’est peut-être pas la bonne idée si j’ai quelque chose à faire le lendemain. J’ai toujours été assez sportif, toujours à la limite, toujours essayé d’aller à 100% et maintenant, c’est possible, mais mon 100% est plus le 100% qu’il était avant ça.
ML : C’est ça.
BN: C’est peut-être ça qui a initialisé ce recentrement dans l’instant, mais c’est des choses qui viennent ensembles. J’étais un bon enseignant quand j’étais reposé, quand j’étais en paix avec qui j’étais. Alors ç’a aidé un peu, mais maintenant avec la retraite, là aussi il y a beaucoup de personnes qui viennent vous voir parce qu’ils savent que vous avez du temps. Est-ce que tu pourrais m’aider à faire ça?
ML : Oui.
BN: Est-ce que tu pourrais faire ci, t’engager dans tel comité, faire telle chose et c’est difficile de dire non, mais j’ai pris consciemment la résolution pendant un an de dire non à toute demande de ce genre-là, pas aux demandes artistiques et c’est quelque chose auquel je tiens. Alors ç’a demandé un effort conscient.
ML : Alors y a-t-il un plan de retraite? Y a-t-il un objectif, des projets que tu aurais toujours voulu mener, mais faute de temps tu n’as pas pu aller au bout de tes idées?
BN: Ce que j’ai c’est, j’ai déjà des projets sur à peu près deux ans. Je vais pouvoir finalement écrire mon roman, mon premier, alors il est en train d’avancer. Je sais pas combien de temps ça va prendre pour le terminer, mais il est en cours. Alors ça c’est quelque chose que je suis vraiment content de pouvoir continuer pouvoir faire.
ML : Y a-t-il un risque maintenant que la passion (les arts), qui a toujours été ce petit velours à l’extérieur du travail… maintenant en n’en faisant l’activité principale de la vie, est-ce qu’il y a un danger que ça devienne un fardeau, le boulot?
BN: Il y a ce danger-là et ça me fait terriblement peur, mais la bonne chose c’est que moi et mon épouse avons quand même un bon régime de retraite et des économies ce qui fait que j’ai pas besoin de travailler. Avant j’avais plus tendance à ok on propose tel projet. Je vais le faire parce que bon ça va me rapporter un peu d’argent. C’est amusant puis ça va me permettre de faire un peu d’art. Là maintenant, je peux le faire que ça rapporte de l’argent ou pas. Si ça me branche, je le fais. Si je trouve ça intéressant, je le fais. Alors j’espère que ça va rester comme ça. Il a un poids qui est… on est plus obligé de travailler à un emploi qui ne nous plait pas, qui nous épuise émotionnellement. On peut faire ce qu’on veut. On peut aller où on veut, alors ça c’est la chose qui est très libérant je crois. Même si je le répète, j’ai beaucoup aimé l’enseignement, mais maintenant je peux faire autre chose. C’est exaltant. La vie continue. Il y a encore les petits soucis et tout ça et puis il y a certains jours où il se passe vraiment rien, mais ça c’est aussi génial parce que ça veut dire qu’il y a pas trop de soucis, il y a pas trop de problèmes.
ML : La mort? On y pense?
BN: J’y pense pas trop trop. Bien ça va arriver un jour, peut-être demain, peut-être dans 20 ans. J’espère le plus tard possible. Avoir pu faire une plus grande carrière en art, avoir pu publier davantage de livres, aider d’autres écrivains, d’autres auteurs à publier, à développer leurs talents j’aime beaucoup ça. C’est le côté peut-être enseignant en moi, pédagogue. J’espère avoir fait des voyages extraordinaires, pouvoir vivre encore de nombreuses années avec mon épouse et puis la mort arrivera quand elle arrivera. Voilà. Ce que j’espère c’est pas avoir une longue agonie. J’espère que ça sera pas souffrant. C’est ça qui me fait peur le plus, la débilité, le fait de devenir une charge pour les autres, ça c’est quelque chose que je ne désire absolument pas. C’est ça qui me fait peur plus, la douleur, l’incapacité physique, la débilité mentale, c’est ça qui me fait énormément peur.
ML : Quels conseils donnerais-tu aux gens à l’écoute qui sont peut-être curieux par rapport à la retraite, qui savent que ça s’en vient, qui savent pas trop comment s’y préparer ou même s’ils doivent prendre le pas? Qu’est-ce que tu leur dirais?
BN: Suivez votre cœur. Suivez votre intuition. C’est à vous. Si vous avez le choix entre continuer à travailler et prendre la retraite, faites ce que vous voulez. Si vous aimez votre travail, si votre travail est gratifiant pour vous et que vous avez pas de souci d’argent, continuez à travailler. Si vous aimez plus le travail, oui évidemment, faites-le. Prenez votre retraite et même si ça peut être difficile financièrement, je dirais : « Prenez votre retraite avant de ne vraiment plus aimer votre travail. » J’ai vu certains collègues qui sont sortis de l’enseignement au moment où ils aimaient vraiment plus leur travail. Ça été libérant, mais ils étaient très, très amers aussi. Alors moi j’ai eu la chance d’arrêter mon travail quand je l’aimais encore et je pense que tout le monde devrait avoir cette possibilité là de pouvoir faire quelque chose qui le passionne, qui nous épanouit finalement, qui fait que notre vie a valu la peine d’être vécue.
ML : On va se laisser avec quelques petites questions à rafales.
BN: D’accord.
ML : Alors, routine ou spontanéité?
BN: Spontanéité.
ML : Lève-tôt ou oiseau de nuit?
BN: Oiseau de nuit.
ML : Paysage connu ou nouveaux horizons?
BN: Les deux.
ML : La retraite une destination ou un voyage?
BN: Un voyage.
ML : L’aspect le plus plaisant de la retraite?
BN: Le temps.
ML : Son aspect le plus difficile?
BN: Le temps.
ML : Finalement la retraite c’est…?
BN: La retraite c’est admirable. La retraite c’est un grand jour d’été.
ML : Bertrand Nayet, merci beaucoup.
BN: Merci Monique.
ML : Je vous en souhaite une bonne.
BN: Merci et moi aussi.
ML : La série balado « Le temps de vivre » est produite par la Fédération des aînés franco-manitobains et a été rendue possible grâce à l’appui financier du Gouvernement du Canada.
Je vous laisse avec une pensée du Dalaï Lama : « Il y a deux jours dans l’année où l’on ne peut rien faire. Il s’appelle hier et demain. Pour le moment, aujourd’hui est le jour idéal pour aimer, croire, faire et principalement vivre. »